Phoker Chomo
2012 À la limite des mondes
Dans une petite communauté isolée du Ladakh, dans les montagnes himalayennes, un étrange rituel se déroule depuis des siècles autour de la manifestation de l’oracle Phoker Chomo, esprit protecteur de ces lieux. Sa présence se manifeste au terme d’une cérémonie appelant l’esprit à venir s’incarner dans un corps humain. Cette année, les habitants sont inquiets : entre la pression exercée par les fondamentalistes musulmans, la perte des récoltes due aux inondations qui ont dévastées le pays et la santé fragile de son actuelle incarnation humaine, l’oracle va-t’il se manifester ?
Le film
Pilote
Intention de réalisation
juin 2011
Suite à une invitation surprenante de Samphel Tsering, natif de la communauté de Phoker, au Ladakh, je me suis rendue avec Gilles Delmas, un ami également cinéaste dans les montagnes himalayennes en cette fin d’année 2010 pour assister à une cérémonie très particulière. Dans ce village isolé, se déroulent depuis des générations une série de rituels accueillant l’oracle du lieu, Phoker Chomo.
Il y avait là promesse d’une aventure hors du commun. Nous nous sommes retrouvés à Leh, la capitale du Ladakh, 10 000 habitants, dévastée comme le reste du pays au mois d’août précédent par des inondations meurtrières. Nous sommes arrivés avec du matériel de tournage pour faire des essais techniques. A peine acclimatés aux 35OO mètres d’altitude, Samphel nous entraine dans la traversée de cet espace minéral, monumental qui nous avale. Nous enregistrons des impressions visuelles et sonores comme un storyboard, tant, ce que l’on perçoit, dépasse les mots. Nous arrivons de nuit à Phoker, le village natal de Samphel.
Autre espace, autre temps.
Nous voilà happés dans un mouvement, une tension collective. C’est extrêmement soudain et terriblement stimulant. Une force nous entraîne, prélude au film en devenir. Sensation étrange, mais qu’est-ce qui ne l’est pas, ici ?
Rapidement, nous avons le sentiment de faire corps avec ce village en attente de la visite de l’esprit. Avec le manque d’oxygène, le souffle devient court. Le rythme de toute chose nous semble différent. Nous sommes en synergie avec l’urgence qui habite Samphel. Nous a-t-il fait venir parce qu’il craint la fin d’un souffle ? d’un cycle ?
La région dans laquelle nous nous trouvons est proche de la frontière pakistanaise, le Cachemire est voisin, la présence des fondamentalistes d’obédience shiite pèse sur ce territoire.
La vision s’ouvre. Nous sommes dans un état second, à la fois épuisés par les pérégrinations incessantes en haute altitude et portés par une nécessité qu’à aucun moment, nous ne songeons à questionner. Petit à petit, un contexte nous est révélé, nous apprenons que des incidents perpétrés par des agitateurs musulmans sont régulièrement venus entraver la pratique des cérémonies bouddhistes ces dernières années.
A quoi sommes-nous en train d’assister? Quelle histoire est en train de se dérouler sous nos yeux ?
Le mystère de l’oracle reste entier et fascinant. La pratique de l’oracle est présente dans les plus anciennes traditions religieuses tibétaines. Selon la conception bouddhiste, la déité projette son esprit par transfert de conscience ou phowa, dans un kuten, support physique. En d’autres termes, l’esprit vient momentanément prendre possession d’une enveloppe charnelle et s’exprime par sa bouche. Il le fait dans une langue tibétaine ancienne que seul le maître de cérémonie peut comprendre et traduire à la communauté. Dans tout l’Himalaya, les oracles ont joué et jouent un rôle important dans le domaine religieux, ainsi qu'un rôle de conseil auprès de l'ancien gouvernement du Tibet et du gouvernement tibétain en exil. On peut rappeler le célèbre oracle de Nechung, dont la précédente incarnation aurait prédit les troubles dus à l’arrivée du régime communiste au Tibet et a conseillé au Dalaï Lama de fuir en 1959.
Venus d’Occident, comment pourrions-nous comprendre un tel phénomène ? Nous n’étions pas venus pour « croire », et certainement pas pour « vérifier » quoi que ce soit. Nous avons vécu comme un privilège le fait d’être invités à une cérémonie si rare, dans un monde si fragile. L’esprit va-t-il se manifester ? Et pourrions-nous saisir quoi que ce soit de cette apparition, si jamais elle avait lieu ? Il nous fallait sentir la manière dont nos hôtes étaient reliés au monde.
Est-ce qu’il faut voir un rapport entre ce qui s’est passé au Tibet et ce qui est en train de se jouer sur ce territoire ? Nous apprenons que dans une communauté voisine, les familles bouddhistes ne pouvant plus pratiquer leurs cérémonies ont été chassées de leurs terres. Est-ce là les prémisses d’un déplacement de population ?
Le film se trouve à la croisée de plusieurs territoires et en touche les limites. Climatiquement déjà, on est dans une région de haute altitude, plus haut il n’est pas possible de vivre, c’est un extrême.
Le passage des récentes inondations a modifié les espaces en laissant des cicatrices ouvertes sur cette terre.
Le Ladakh est coincé entre le Pakistan, le Tibet et la Chine, l’intérêt géopolitique de cette région n’est plus à démontrer, une forte présence militaire en convoi sur les routes ou dans les camps omniprésents le souligne.
La cérémonie constitue un espace temps à part, une particule presque pure et intemporelle émanant dans ce chaos d’un état contemporain du monde.
Fiche technique
Réalisation Doris Buttignol & Gilles Delmas
Images Gilles Delmas
Son Doris Buttignol
Format 52 mn
Support de tournage HD
Lieu de tounage Laddakh
Langues de tournage laddhaki-Tibétain- anglais
Production Frank Eskenazi et Hortense Quitard- The Factory 38 rue des martyrs 75018 Paris
Le blog du voyage dorisb.jeblog.fr
Le blog de l’opération de soutien à l’école du lotus blanc de Phoker lotusblanc.eklablog.fr
Le site de Gilles Delmas, cinéaste, plasticien, photographe www.gilles-delmas.com