Le procès d'un corps
2019-2020 La bataille d'un homme pour la reconnaissance du sexe neutre
Synopsis :
En France, tout individu doit être rattaché, dans les trois jours suivant sa naissance, à l'un des deux sexes existants : masculin ou féminin. On est donc soit l'un soit l'autre... Pourtant, chaque année, des enfants naissent avec des variations du développement sexuel.
Absence ou malformation d’organes génitaux, anomalie des systèmes reproductifs, dysfonctionnements hormonaux, … Des caractéristiques biologiques "hors-normes" qui ont donné lieu à l’apparition d’un terme : l’intersexuation.
Jean-Pierre, le personnage principal de ce documentaire est une personne intersexe. Ce n’est pas un choix ni une orientation sexuelle, c’est un fait scientifique. Certes, son apparence est celle d’un homme et sur ses papiers d’état civil, il est mentionné "sexe masculin".
Mais en 2015, il s’est tourné vers le tribunal de Grande Instance de Tours pour demander la rectification de cette mention afin d’y faire figurer "sexe neutre" à la place.
C’est la réalité de mon corps. Jean-Pierre
Depuis cette première démarche, cette réalité n’a toujours pas convaincu la justice d’accéder à sa demande. Sa requête a voyagé d’une cour de justice à une autre. Elle est aujourd’hui entre les mains de la Cour Européenne des Droits de l’Homme à Strasbourg.
C'est cette histoire bouleversante que le documentaire réalisé par Doris Buttignol, sur une idée originale de Carole Mangold, raconte.
Troisième sexe
En toile de fond, c’est tout le fonctionnement de la société qui est remis en cause par la requête de Jean-Pierre. Et notamment, la binarité, principe auquel chaque citoyen doit se conformer, dès la naissance.
En accédant au souhait de Jean-Pierre, la justice validerait alors l’existence d’un troisième sexe et ouvrirait ainsi la porte à une cascade d’autres débats sociétaux.
C’est ce que laissait entendre le jugement de la Cour de Cassation (2017) en argumentant que “la reconnaissance par le juge d’une troisième catégorie de sexe aurait des répercussions profondes sur les règles du droit français construites à partir de la binarité des sexes et impliquerait de nombreuses modifications législatives de coordination”.
Médecine et bioéthique
Il semblerait pourtant que, dans l’histoire, des actes de baptême aient porté la mention "hermaphrodite" en lieu et place de "fille" ou "garçon". Mais depuis le 7 février 1924, l’article 57 du code civil prévoit que "l’acte de naissance énoncera le jour, l'heure et le lieu de la naissance, le sexe de l'enfant".
Et depuis les années 60, la médecine pratique très régulièrement des opérations de conformation sexuelle sur les jeunes enfants. A l’hôpital Necker, on recense, par exemple, 2000 primo-interventions chaque année, selon un compte-rendu de la délégation aux droits des femmes du Sénat sur les enfants à identité sexuelle indéterminée de mai 2016.
Ces interventions se poursuivent généralement tout au long de la vie d’une personne intersexe. Dans Corps en tous genre –La dualité des sexes à l’épreuve de la science, la grande spécialiste des études de genre Anne Fausto-Sterling indique que "30 à 80% des intersexes subissent plus d’une opération. Il n’est pas rare de voir un(e) enfant endurer trois à cinq de ces procédures".
Dans le projet de loi relatif à la bioéthique, une petite place vient d’être faite aux intersexes. Un amendement voté à l’issue de deux heures de débats, systématise l'orientation des enfants nés intersexes vers les quatre centres de référence des maladies rares du développement génital, à Lille, Lyon, Montpellier et Paris.
Sur les opérations et le souhait des collectifs de défense des personnes intersexes de les faire reconnaître comme actes de mutilation, les propositions d’amendement ont été rejetées.
A l’étranger
La France a pourtant déjà été condamnée trois fois en 2016 par l’Organisation des Nations-Unies pour ces opérations sur les enfants intersexes, considérées comme des mutilations.
Pendant ce temps-là, d’autres pays avancent considérablement sur la question de la prise en compte des personnes intersexes.
Aux Etats-Unis, Jamie Shupe a gagné, en 2016, le droit de ne pas s’identifier administrativement comme femme ou homme. Il est devenu la première personne légalement non-binaire de son pays.
L’année suivante, Sarah Kelly Keenan obtenait la mention "intersexe" sur son certificat de naissance, rectifié par l’état de New York.
L’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Inde et le Népal ont créé une troisième catégorie à l’état civil.
En Europe, l’Allemagne offre aujourd’hui la possibilité de choisir la "dritte option" sur les certificats de naissance, à savoir la mention “divers” plutôt qu'homme ou femme.
Cela fait d’elle la nation la plus avant-gardiste en matière de respect des identités sexuelles au sein de l’Union Européenne, loin devant la France.
► "Le procès d'un corps", un film de Doris Buttignol, sur une idée originale de Carole Mangold, coproduit par YN Productions et France Télévisions. Première diffusion le lundi 9 novembre à 22h50 sur France 3 Centre-Val de Loire.