Totale expression

2016

Format : 52 mn HD/ scénario & réalisation Doris Buttignol
Production Carole Mangold pour Idée Originale.

Résumé

Ils sont jeunes et habitent le quartier de la Villeneuve à Grenoble, régulièrement stigmatisé dans les médias depuis les violences urbaines de l’été 2010. Ce qui les relie c’est la scène. Ensemble, ils ont écrit un spectacle musical, allégorie des maux de leur génération qui tente de se projeter vers un avenir plein de doutes. Le film en mettant en abyme des « tableaux » issu de cette création avec des séquences d’actualités, archives du traitement médiatique des émeutes de l’été 2010 et du discours de Grenoble, matérialise le décalage qui existe entre cette société et sa jeunesse.

Note d'intention

Ceux que j’ai choisi de filmer ont entre 15 et 22 ans, ils habitent un quartier dont les épisodes de violence urbaine aura été le déclencheur du fameux « discours de Grenoble » du président Sarkozy, stigmatisant toute une jeunesse. Ce quartier, ils y vivent, ils y ont leurs repères, leurs habitudes. Ils forment une bande qui régulièrement monte sur scène pour partager une vision du monde dans lequel ils évoluent.

La récente diffusion du reportage « Villeneuve : le rêve brisé » dans le magazine Envoyé Spécial en septembre 2013 a provoqué un électrochoc dans le quartier, aboutissant à une mobilisation sans précédent. Rémy Pfimlin, le Président de France 2 est cité à comparaître devant le Tribunal de Grande Instance de Grenoble.

A travers le film, j’ai voulu proposer un espace d’expression aux jeunes vivant dans ce quartier,à travers les représentations, les réflexions, les questions d’un groupe identifié, inscrit dans ce territoire particulier, dont par la force des choses tout le monde a entendu parler et s’est constitué une représentation imaginaire.

Ils vivent dans un quartier qui est désigné comme l’un des 10 plus dangereux de France.  Ce qu’ils ont à dire, ils l’ont écrit et mis en musique pour l’exprimer sur la scène. Pour parler de ces émotions qui les traversent, qui parfois les déchirent, ils ont fait appel à la poésie. Et c’est Eluard, Ste Beuve, Prévert qui sont convoqué sur scène mais aussi Léopold Senghor, dont faut-il rappeler qu’il fut le premier écrivain africain à siéger à l’Académie française.

Le spectacle qu’ils interprètent est une  représentation du réel dont ils sont les auteurs. Du point de vue de la réalisation, j’ai trouvé que cette retraduction artistique était bien plus expressive que ce j’aurais pu obtenir uniquement par l’entretien, forcément orienté, forcément réducteur.

La mise en abyme de ces tableaux avec de courtes séquences d’actualités issues du traitement médiatique des émeutes de l’été 2010 et du discours de Grenoble, matérialise à l’image le décalage qui existe entre cette société et sa jeunesse.  Le commentaire est superflu devant l’évidence de l’instrumentalisation politique d’un fait divers tragique qui va se traduire par la stigmatisation de boucs émissaires désignés.

Aujourd’hui, bientôt 4 ans après le discours de Grenoble, on  peut mesurer quel virage a pris la société française. Car ce n'est pas l'action politique de Nicolas Sarkozy qui a développé le sentiment de menace existentielle qui touche notre pays, ruine sa confiance en elle-même et nourrit sa peur de l'inconnu. Le rôle historique de cet homme, comme l’explique l’historien Pierre Cornu, s'est limité à cristalliser ce sentiment jusqu'alors ambivalent et incertain, à l'orienter vers un réflexe de rejet de l'Autre et, surtout, à légitimer symboliquement ce rejet.
Certes, on ne peut dire que la société française soit toute entière devenue xénophobe et antihumaniste, loin s'en faut. Mais le président a encouragé ceux qui étaient les plus susceptibles de succomber à cette tentation ou qui y avaient déjà succombé depuis longtemps ; il a endormi, désarmé ou ridiculisé ceux qui auraient pu s'y opposer et surtout, il a puissamment orienté l'appareil d'État dans le sens d'une discrimination et d'une précarisation des enfants de l'immigration qu'il sera difficile d'abolir.

Le récent résultat des élections européennes, où c’est le Front National qui a rassemblé la plus grande partie des suffrages exprimés est un des traductions concrètes de cette dialectique de la haine et de l’exclusion. A ce stade de notre histoire, il me paraît nécessaire de donner une visibilité aux valeurs d’ouverture et de partage qui sont les seules garantes de la paix sociale.

Doris Buttignol, juillet 2014